21 juin 2009

Emotion d'échafaud à Versailles en 1789


Pendant toute la seconde moitié du XVIIIème siècle plusieurs Sanson ont été titulaires de l’office de bourreau de Versailles et de la prévôté de l’Hôtel du Roi. Nicolas-Charles-Gabriel, fils de l’exécuteur de Paris, occupa ces fonctions de 1749 à 1778, après lui Charles-Henri, son neveu, de 1778 à 1788, puis Louis-Cyr-Charlemagne, un autre de ces neveux demi frère du précédent, de 1788 à 1794. Pendant la révolution, ce dernier inaugura l’une des premières machines à décapiter fabriquées en France. Il eut aussi à affronter une émotion d’échafaud, comme il s’en produisit plusieurs au début des troubles révolutionnaires.
Le 26 juillet 1789, un sieur Wagner, épicier au coin de la rue Saint-Médéric, à Versailles, fut frappé d’un coup de couteau par son fils et en mourut le lendemain. Le meurtrier, ouvrier serrurier, fut arrêté très rapidement et jugé le 4 août par la prévôté de l’Hôtel du Roi. On sait comment pouvait parfois être expéditive cette juridiction, chargée de tous les crimes et délits commis dans les résidences royales. D’autant qu’au criminel, ses jugements étaient sans appel. Wagner fils fut condamné « à faire amende honorable devant l’église Notre-Dame, avec un écriteau portant le mot "parricide" ; puis à être conduit à la place du marché de Versailles pour y être rompu vif, mis ensuite sur la roue, puis son corps brûlé et ses cendres jetées au vent. »
Le 11 août, le condamné fut amené dans l’enclos de la geôle de la chambre criminelle de la prévôté où il entendit la lecture de son jugement. Après s’être confessé il fut remis aux mains de l’exécuteur. Dehors, on le fit grimper dans un tombereau qui le conduisit d’abord à l’église Notre-Dame. Là, selon un cérémonial très précis, en chemise, la corde au cou, il fit amende honorable. Ce jour là, à cause de l’affluence excessive qu’on prévoyait sur l’esplanade du marché, lieu habituel des exécutions, et « qu’il y avait quelque danger de feu », on avait dressé l’échafaud sur la place du grand Montreuil. Arrivé au lieu du supplice, Wagner descendit de la charrette et monta sur la plateforme pour y subir sa peine. Il n’était pas encore lié sur la croix de Saint-André qu’un immense mouvement de révolte se produisit parmi la foule. Des centaines de voix crièrent : « grâce ! grâce ! » Presque aussitôt la garde fut bousculée, le bourreau chassé et le condamné délivré. Il disparut dans la mêlée. Les émeutiers firent un grand feu de joie en brûlant sur place l’échafaud et le tombereau de l’exécuteur. On ne retrouva jamais l’évadé. Cette émotion d’échafaud, loin d’être spontanée, avait été préparée et dirigée, paraît-il, par la corporation des ouvriers serruriers, fort importante dans la ville. (1)
A peu de distance de là, au château de Versailles, la monarchie française vivait ses derniers jours.

(1) M. Jeandel, La justice à Versailles, Mémoires de la Société des sciences morales des lettres et des arts de Seine-et-Oise, Versailles, 1861, p. cxv.

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