16 juin 2009

Un bourreau débutant

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Dans notre article du 7 juin, nous avons publié la relation d'une émotion d'échafaud à Avignon, en 1672. Un de nos lecteurs nous signale un autre document ayant trait à la même affaire, contenant de nouveaux détails, et issus des archives de la ville d'Avignon :

« 1er juin 1672.
« S'étant fait un vol considérable dans cette ville, il y a quelques mois, on en découvrit les auteurs, qui étaient un nommé d'Yvoire, habitant d'Avignon, et deux de ses soeurs; deux autres frères nommés Sarrepuy, aussi d'Avignon, et un nommé Dufort, étranger, furent leurs complices. Après les avoir tous saisis et emprisonnés, excepté les Sarrepuy, lesquels on ne put pas attraper, et leur avoir dressé leur procès, confés et convaincus de ce vol et de plusieurs autres crimes, le Dufort fut condamné à être pendu et étranglé, et le 29 du passé, il fut conduit, à l'accoutumée, au lieu de son supplice, à la place Saint-Didier, où étant arrivé et monté sur la potence, le bourreau qui devait l'exécuter, n'ayant encore jamais pendu personne dans Avignon et ne sachant pas son métier ni ce qu'il faisait; au lieu de précipiter de l'échelle le patient suspendu en l'air par la corde, il lui monta sur les épaules, tandis que ledit patient était encore sur l'échelle, et lui serrant de toute sa force la corde au col, voulait l'étrangler là même sans le jeter et sans le secouer. Mais voyant qu'il ne pouvait pas réussir pour le faire mourir sitôt qu'il fallait, et qu'il n'avait pas su disposer ni attacher ses cordes à propos, il lui donnait de grands coups de genou et du pied dans le coeur et dans les reins, et le faisait ainsi souffrir d'une manière tout à fait pitoyable. Ce que voyant, plusieurs étrangers et autres personnes qui étaient présentes en grand nombre à ce spectacle, se mirent à crier à l'exécuteur d'avoir compassion de ce misérable et de ne le faire pas longtemps souffrir. Mais cela ne fit aucun effet, car il continua de le tourmenter de la même manière, en sorte que ce pauvre patient se débattait incessamment et remuait de tout son corps sur l'échelle et sous cet infâme. Enfin cela ayant duré quelque temps; quelques-uns d'entre ce peuple, touchés de compassion pour ledit malheureux, et animés contre le bourreau, se mirent à lui jeter des pierres. Ce que voyant et appréhendant quelque blessure, il se laissa tomber de l'échelle en bas, et donna de la tête en tombant d'où il est mort.
Mgr le Vice-légat, ayant été averti de ce désordre, sortit de son Palais et s'en alla à la place de l'exécution, Nous (les Consuls) nous rendîmes en diligence près de sa personne, et S. Ex. étant arrivée à ladite place, trouva tout le monde fort soumis qui jetait des larmes de compassion […], ce monde s'étant aperçu que ce pauvre patient remuait encore à la corde, l'un d'entre eux qu'on ne connaît pas et qu'on dit être un étranger, coupa la corde, et l'on porta ce misérable dans la petite église de Saint-Antoine; là tout proche, où ayant encore donné des marques de vie et l'ayant fait savoir à S. Ex., elle ordonna à M. le Marquis de Crillon, premier Consul, de lui faire envoyer des médecins et des chirurgiens, de lui faire faire tous les remèdes qu'on pourrait pour le remettre, et que, s'il en échappait, elle lui donnait sa grâce. On obéit à cet ordre, et ce fut avec succès. Le patient continua de respirer; et s'étant tant soit peu remis, on le porta à l'hôpital par le même ordre. Il y demeura vingt-quatre heures fort mal et sans pouvoir recouvrer la connaissance ni aucun de ses sens. Après ce temps-là, il est revenu, et se porte assez bien présentement. Le lendemain de cette exécution, on eut un autre bourreau par lequel Son Excellence fit donner le fouet par la ville à la soeur aînée dudit d'Yvoire, et le jour suivant, à sa femme et à sa soeur la cadette, toutes complices du même vol... »

Paul Achard, Dictionnaire historique des rues et des places publiques de la ville d'Avignon, Avignon, Seguin aîné, 1857, pp. 147-149
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