19 octobre 2009

Une exécution secrète (1558)


Curieux document que nous publions, puisqu'il s'agit du compte rendu détaillé d'une exécution secrète effectuée au château de Vincennes, le 4 septembre 1558. Il a été rédigé par un officier royal, resté anonyme, mandaté par le garde des sceaux (1).
Le condamné est un noble lorrain, Gaspard de Heu, seigneur de Huy dans le pays messin, ancien échevin de Metz. Protestant, il fut l'un des principaux artisans de l'introduction de la Réforme dans cette ville impériale. Dénoncé pour son activisme en faveur des princes protestants d'Allemagne, dont il était l'intermédiaire avec le roi de Navarre, il fut arrêté par ordre des Guise au retour d'un de ses voyages outre Rhin.
Amené à Vincennes et appliqué à la question, son sort semble avoir été décidé en haut lieu. Pour des raisons assez obscures, relevant de la stratégie ou de la politique, il fut décidé qu'il serait exécuté clandestinement. On a longtemps ignoré la date et les circonstances de sa mort. Récit d'un assassinat à huis clos :

" Cejourd'huy premier jour de septembre 1558, nous lieutenant soubzigné, avons reçu par les mains de Monseigneur le reverendissime Cardinal de Sens, Garde des Sceaux de France, certain arrest et jugement de mort donné contre Gaspard de Heu, Sr de Huy, prisonnier au Chasteau du boys de Vincennes; ensemble certaines lettres de commission du Roy, attachées audit arrest, soubz le contre-seel de la Chancellerie, par lesquelles nous étoit mandé mettre icelluy arrest à exécution, qui selon sa forme et teneur ensuyt, ledit arrest signé Henry, et au dessous De l'Aubespine, et ladite commission aussi signée « Par le Roy », De l'Aubespine, et seellee du grand scel.
Au moyen de quoy, pour satisfaire au contenu de ladite commission le iiije jour dudit moys, accompagnez de Thomas Guay, prins pour greffier en cette partie, et de Ian Corneille, sergent royal en ladite prevosté, nous sommes transportez audit Chasteau du boys de Vincennes. Où estant arrivez, avec et en la compagnie de noble homme Me Michel Viallard, conseiller du roy et lieutenent civil en ladite prevosté de Paris, a esté par ledit Sr Viallard et nous fait entendre au cappitaine du Chasteau, nommé de Belloy (2), les choses qui nous menoyent : à ce qu'il eust à faire retirer ses gens et nous ayder à exécuter secretement ladite commission, suyvant le vouloir du Roy, et, affin qu'il n'en pretende cause d'ignorance, luy avons commandé de faire ouverture de certains lieux et endroits dudit chateau, affin d'adviser lieu propre et commode pour l'exécution dudit jugement de mort, et après en avoir advisé par l'executeur de la haulte justice (3), auquel avions commandé se trouver là, nous serions allez et transportez en une chambre basse où estoit ledit Viallard, affin d'assister avec luy à la torture qu'il debvoit bailler, avant l'exécution de mort audit de Heu.
Où avons esté jusques environ les quatre heures du soir, qu'estant ladite question baillée, se seroit ledit Viallard retiré et party dudit chasteau et serions nous et nostre greffier demeurez seuls, en ladite chambre basse, avec ledit de Heu, auquel nous aurions dit qu'il estait besoin qu'il veint avec nous jusques en une autre chambre prochaine de là.
Sur quoy il nous auroit demandé pourquoy, faisant reffuz d'y venir. Luy aurions respondu que luy ferions entendre, si tost qu'il seroit en l'autre chambre, finallement l'aurions doucement et par moyens fait sortir de ladite chambre, et allans au lieu où entendions le mener, se seroit plusieurs foys arresté, demandant si le voullions faire mourir, nous regardant souvent à la face. Auquel aurions respondu qu'estants au lieu où le menions, luy ferions entendre la volonté du Roy et le jugement contre luy donné.
Finallement aurions tant fait, que l'aurions fait monter en un grenier dudit Chasteau, où luy aurions prononcé ledit arrest et jugement de mort contre luy donné, Et pour executer le contenu en icelluy, l'aurions delivré ès mains de l'exécuteur de la justice.
Quoy voyant, ledit de Heu nous aurait dit, en ces termes : Comment ! Le Roy me veut donc faire mourir !
Et après avoir demeuré quelque peu pensif, se seroit approché de nous, nous demandant s'il y auroit point moyen d'avoir sa grâce.
Auquel aurions respondu qu'il avoit entendu le contenu de son-dit arrest, lequel avions charge de faire exécuter. […]
Toutesfois ne nous auroit rien voulu dire, et auroit demandé un prestre, disant qu'il se voulloit confesser, parquoy en aurions mandé un.
Ce pendant nous auroit requis le laisser parler audit cappitaine; ce qu'aurions accordé, esperant qu'il luy descouvriroit et confesseroit plus tost quelque chose que non pas à nous, dont ledit cappitaine, comme bon et fidelle serviteur du Roy, pourroit advertir puys après ledit seigneur.
Or, nous incontitant apres, aurions dernandé audit cappitaine quels propos lui auroit tenuz ledit de Heu : nous auroit dit qu'il ne luy aurait parlé que de sa femme.
Sur cela, seroit arrivé le prestre qu'avions envoyé quérir. Et aussitost ledit de Heu nous auroit dit qu'il nous déclarait en la présence de luy et dudit cappitaine, que toutes les choses qu'il avoit ce jourd'hui dittes audit Viallard, estoyent faulses et inventees, et que ce qu'il en avoit dit estoit pour la tremeur et crainte qu'il avoit de ladite question, nous reitterant ces propos par deux on troys foys, disant davantage qu'il n'y avoit rien de vérité, sinon ce qu'il avoit dit et confessé audit Viallard, par ses premiers interrogatoires. Luy aurions remonstré que s'il n'en estoit rien, qu'il ne le debvoit dire pour offenser sa conscience; nous auroit respondu qu'il eust dit lors tout ce que l'on eust voulu, pour la crainte de ladite question. Luy aurions remonsté, qu'il n'estoit vraysemblable qu'il eust si promptement inventé tout ce qu'il avoit ce jourd'hui dit. Auroit soutenu que si, qu'il l'avoit inventé et n'en estoit rien, Ce fait, se seroit mis à genoux, où, après avoir fait en françois son oraison tout haut, ledit prestre l'auroit admonesté de sa conscience et salut, et fait plusieurs remonstrances touchant la religion, entre autre choses qu'il ne suffisoit de mourir avecques Jésus-Christ, mais qu'il falloit aussi mourir avec nostre mère saincte Eglise. Sur quoy, enfin, et après quelques propos, auroit ledit de Heu respondu qu'il vouloit mourir avecques Jésus-Christ et l'Eglise, mais non pas comme les Papistes. Et sur ce, aurions demandé s'il se vouloit point confesser et prendre l'absolution dudit prestre; auroit dit que non. Parquoy, voyant qu'il ne vouloit dire autre chose et qu'il ne tendoit qu'a nous tenir en longueur aurions commandé audit exécuteur le mener en un autre grenier prochain et attenant de celluy où nous estions. Où estant l'auroit ledit exécuteur fait monter en une eschelle qui estoit posée contre le surfeste de la couverture dudit grenier, et estant là, ayant la corde au col, nous auroit dit en ces termes : Le Roy me fait mourir, mais il s'en repentira devant qu'il soit troys sepmaines, et il le cognoistra et alors il saura bien au vray qui sont ceux qui ont escrit, fabriqué et composé la lettre envoyée aux Princes électeurs de l'Empire.
Luy aurions remonstré qu'il nous le diroit bien de ceste heure s'il vouloit, l'admonestant de ce faire : nous auroit dit qu'il n'en diroit autre chose puisqu'il alloit mourir; mais que l'on le scauroit assez avant qu'il fust troys semaines, réitérant que le Roy s'en repentiroit et cognoistroit la faulte qu'il faisoit de le faire mourir, et qu'il luy eust bien peu encores faire service.
Et sur ce après avoir dit en français le symbole des apostres, l'auroit le dit exécuteur jetté et estranglé, où il seroit demouré pendu environ une heure.
Ce pendant aurions fait faire une fosse dans les fossez du donjon dudit chasteau, soubz les arches du pont de la poterne, comme nous semblant lieu le plus caché et secret d'alentour dudit chasteau, d'autant que l'on ne va souvent ny aysement esdits fossez, et que les herbes y sont communément grandes. Auquel lieu nous avons fait mettre et poser le corps dudit de Heu, suyvant que par ladite commission nous estoit mandé faire.
Ce fait, aurions fait secrètement retirer ledit exécuteur de la justice et deffendu à luy et à son varlet de dire n'y révéler aucune chose de ladite exécution.
Pareillement avons deffendu audit de Belloy, capittaine dudit chasteau, sur la fidélité qu'il doit au Roy, d'en rien déclarer, et enchargé faire pareilles deffenses au portier, ses mortes payes et serviteurs qui en pourroyent avoir entendu quelque chose, et faire en sorte que ladite exécution fust tenue secrette suyvant le vouloir du Roy, ce qu'il auroit promis de faire.
Et à l'instant serions montez à cheval et retournez à Paris, où serions arrivez environ les neuf ou dix heures de nuict.
Et tout ce certifions estre vray et par nous avoir esté ainsi fait l'an et jour que dessus."

(1) Bibliothèque Nationale, Mss 22562, 1ère partie, pp.110-113. Publié dans le Bulletin historique et littéraire de la Société de l'histoire du protestantisme français, tome XXV, Paris, 1876, pp. 164-168.
(2) Antoine de Belloy, écuyer, seigneur de Belloy-Saint-Léonard, capitaine des châteaux de Vincennes et de la Bastille.
(3) Jean Rozeau, nouveau bourreau de Paris depuis février 1558. Ce ne fut pas la seule exécution clandestine de sa carrière puisqu’il pendit « sans jugement » le président Brison et deux conseillers au Parlement, en 1591, sur l’ordre du Conseil des Seize. Suite à cette affaire, il fut condamné à mort et pendu le 27 août 1594.

1 commentaire:

  1. Superbe merci!
    Il y a peut-être l'un des serviteurs (ou morte-paye) de de Belloy juré au silence ici:
    http://savart.info/page14/page11/page177/page177.htm

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