30 décembre 2009

Les bourreaux de Verdun au XVIIème siècle (3)

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En complément à notre article précédent, l’écrivain lorrain Alain Fisnot a eu l’amabilité de nous communiquer un document intéressant, dont nous ignorions l’existence, qui pourrait avoir un rapport avec la mort brutale de Claude Miraucourt, le bourreau de Verdun.
Il s’agit d’un acte passé le 6 novembre 1707, par devant Mangin, notaire à Verdun (1). Soit seulement quatre mois avant le décès par empoisonnement de l’exécuteur et de sa femme. A cette date, Claude Miraucourt, exécuteur des sentences criminelles du bailliage de Verdun, et Françoise du Carle, son épouse, passent un traité avec Pierre Etienne, leur gendre, bourgeois de Verdun, et Louise Miraucourt, sa femme. En préambule, le notaire note : « C’est assavoir que lesdits Miraucourt et sa femme se trouvant incommodés journellement et hors d’estat de pouvoir travailler comme cy devant, pour cette cause ils se sont déportés de la place d’exécuteur des sentences criminelles de cette ville et banlieue et de mesme que ledit Claude Miraucourt en jouit présentement. Et ce pour et au profit dudit Pierre Etienne et sa femme pour en faire l’exercice au lieu et place dudit Claude Miraucourt pendant sa vie et celle de ladite Françoise du Carle. » Moyennant quoi tous les profits de cette charge entreront en communauté et seront employés « à la nourriture, entretien et nécessité » de chacun des deux ménages, lesquels résideront ensemble au domicile de Claude Miraucourt. Les revenus de l’exécuteur provenant, d’une part, du « blanchissage, vuidange et nectoyage des hauts et bas greniers et tout ce qui en despend » et, d’autre part, de trois-cents livres de gages annuels. Si, au terme de chaque année, il subsiste un reliquat des dépenses courantes, il sera partagé à égalité entre les deux familles. Il est stipulé que Pierre Etienne et sa femme ne pourront vendre ni « autrement disposer de ladite place » qu’après le décès de Claude Miraucourt et sa femme. Par ailleurs, si ce dernier venait à décéder pendant le cours de ce traité, il laissera un acte de démission en faveur dudit Etienne et non d’un autre. Lequel office appartiendra en totalité à Pierre Etienne aussitôt le décès de Françoise du Carle. Enfin, le document prévoit que les deux enfants mineurs de défunt Claude Miraucourt (2), ancien bourreau de Toul, seront également nourris, élevés et entretenus sur le budget commun, auquel ils contribueront par une pension annuelle.

Nous avons vu que les époux Miraucourt furent retrouvés empoisonnés le 28 février 1708. Le document qui précède confirme, à l’évidence, que le principal bénéficiaire de leur disparition était Pierre Etienne, leur gendre. Quant à conclure qu’il est l’auteur de l’assassinat de ses beaux-parents, nous n’en avons aucune preuve. Pas plus que la justice de cette époque qui, semble-t-il, n’entama aucunes poursuites contre lui.

Pierre Etienne devint donc bourreau de Verdun. Curieusement, cinq mois après le décès de ses parents, Louise Miraucourt - sa femme – s’éteignit à son tour le 28 juillet 1708. Seulement trois mois plus tard, Etienne se remaria à Metz, le 30 octobre 1708, avec Marie-Elisabeth Roch, fille d’Henry Roch, bourreau de Metz. Après le décès de cette dernière, il convola en troisième noces, en 1731, avec Marguerite Desmoret, fille de Nicolas, bourreau de Châlons. Puis, en 1746, quatre mois après la mort de celle-ci, il se rendit à Rouen pour y épouser Marie-Gabrielle Le Vavasseur, fille de Martin, bourreau de cette ville. Enfin, le 1er juillet 1749, à Verdun, il se maria une cinquième fois. Sa nouvelle épouse se nommait Marguerite Wolff. Elle était fille d’un bourreau allemand et veuve de Jean-Pierre Dalembourg, bourreau de Thionville. L’exécuteur de Verdun mourut dans ses fonctions le 21 juin 1750, âgé de 64 ans. Au moins quinze enfants naquirent de ses cinq mariages.

Bourreau des coeurs, bourreau tout court, Pierre Etienne n’a-t-il utilisé ses talents que dans le cadre de sa profession ? Un jour, peut-être, les archives nous livreront de nouvelles révélations à son sujet.

(1) Archives départementales de la Meuse, 12E165.
(2) Ce Claude Miraucourt, fils de Claude Miraucourt et de Françoise du Carle, fut bourreau de Toul de 1692 à 1706. Il mourut en 1706 laissant une fille, Nicole (née en 1692) et un fils, Pierre (né en 1700). 



23 décembre 2009

Les bourreaux de Verdun au XVIIème siècle (2)


Suppléant de Didier puis de Jean Martin, dès janvier 1630, Jean Miraucourt s’impose très vite comme le véritable exécuteur de Verdun. En mars 1631, le receveur de la ville lui verse les 10 francs qu’on lui a accordés, annuellement, pour son logement. Vers 1636 ou 1637, au départ définitif de Jean Martin, il devient le seul et unique maître des hautes œuvres de la cité. A cette époque, il perçoit 22 francs comme salaire annuel. Entre 1640 et 1651, ses rémunérations restent constantes, soit 10 francs pour son logement et 40 francs pour ses gages (1).
Jean Miraucourt et son épouse, Jeanne Gossin, se sont installés dans la paroisse Saint-Pierre-le-Chéri. C’est là que naissent, entre 1639 et 1641, leurs sept enfants. Ils reçoivent une certaine éducation. On note que le plus jeune, Claude, et sa soeur Jeanne, savent parfaitement signer.
Dès le début des années 1660, Jean Miraucourt s’est adjoint les services de son gendre, Nicolas Blin dit la boule.
Le 15 décembre 1668, les administrateurs de la ville sont alertés que « Jean Miraucourt, maître des hautes œuvres, s’ingère de prendre part de toutes les denrées qui se vendent et débitent en cette ville, quoy que son devancier n’avoit qu’accoustumé de prendre que de chacun panier de boeure, œufs, fromage et fruicts, 3 deniers tournois et ne prenoit aucune chose des vins, foins, charbon, bois et autres vivres et denrées, laquelle augmentation il a faite sans permission au scandale et à l’intérêt du publicq » (2). Le procureur syndic est chargé de s’en informer.

Devenu âgé et hors d’état de poursuivre ses fonctions, Jean Miraucourt démissionne en faveur de son fils Claude, qui est nommé à sa place le 21 août 1677. La ville en profite pour remplacer son droit de havage par un salaire et pour préciser ce qui lui est permis : « Lui ont donné pour tous gages la somme de 300 livres par an, laquelle lui sera payée d’avance par quartiers, à charge qu’il ne lèvera aucune chose sur les bourgeois et habitans de cette ville et faubourg, ni même les forains qui viendront vendre des denrées, ni même quand il fera justice. Outre plus lui avons accordé le blanchissage des bêtes en ville, faubourg et banlieue, à condition qu’il sera obligé d’enterrer toutes sortes de bêtes mortes et entrailles d’icelles partout où il s’en trouvera dans la ville, faubourg et banlieue. Ne pourra prendre ou exiger pour écorcher plus grande somme que celle de six sols pour chacune grande bête, savoir chevaux, bœufs et vaches, et 4 pour les moyennes, savoir porcs, brebis et veaux » (3).

Né en 1641, Claude Miraucourt a appris le métier auprès de son père, à Verdun. Mais c’est à Toul où il épouse en 1665 Françoise du Carle, fille de Humbert, maître des hautes et basses œuvres de cette ville, qu’il débute sa carrière. Pendant douze ans il y sera bourreau avant de revenir à Verdun en 1677.
En 1688, Claude marie sa fille Catherine avec Jean-Jacques Bourgard, descendant d’une vieille famille d’exécuteurs allemands. En 1705, Louise, sa benjamine, épouse Pierre Etienne, âgé de dix-huit ans et originaire de Naix-en-Barrois, qui lui succèdera comme bourreau de Verdun. Enfin, en 1706, sa troisième fille prénommée aussi Catherine épouse Jean François, originaire de Metz, qui deviendra maître des hautes œuvres de Damvillers.

Après la disparition de son père Jean, décédé le 9 septembre 1692, Claude Miraucourt prend la précaution de se pourvoir de nouvelles lettres de provisions données à Versailles le 6 février 1693.

Le 28 février 1708, vers sept heures du matin, le procureur de Verdun est informé par Pierre Etienne, gendre du bourreau, du décès de ses beaux parents dans des circonstances mystérieuses. Etienne lui raconte qu’ayant passé la nuit dans un grenier de la maison de Claude Miraucourt, exécuteur des hautes et basses œuvres, à son réveil il l’a trouvé mort sur son lit, dans une chambre basse donnant sur le jardin. La femme du défunt, Françoise du Carle, également décédée, gisait sur un matelas près de la cheminée. Seule Jeanne Duval, leur nièce, qui avait dormi dans la même pièce, était encore en vie.
Aussitôt, Monsieur de Watronville, assesseur civil et criminel de bailliage de Verdun, accompagné de son greffier, d’un médecin, de deux chirurgiens et de deux huissiers, se rendent sur les lieux. Claude Miraucourt est étendu sur son côté gauche et son épouse a le visage tourné vers le ciel. Les corps sont transportés dans la cour de la maison pour y être examinés. Ils sont tous deux de bonnes constitutions. L’homme présente cependant une tension non naturelle au bas-ventre et du sang s’échappe de son nez. La femme, quant à elle, arbore des lividités rougeâtres sur différentes parties de son corps. Les médecins procèdent ensuite à l’ouverture des cadavres : « Après avoir fait l'ouverture des trois ventres, à savoir du cerveau, de la poitrine et du ventre inférieur, ils ont trouvé le dit cerveau et la dite poitrine des deux cadavres, après en avoir fait la dissection dans les positions naturelles à la différence seulement que les poumons étaient un peu noircis et a l'égard du ventre inférieur, ils ont reconnu que la membrane interne des deux estomacs était inflammée, excoriée et rongée dans leur fonds. Celui de Miraucourt davantage que celui de sa femme. Ce qui a donné sujet de craindre que quelques matières âcres et corrosives n'en aient été la cause et pour ce sujet en ont ôté les estomacs pour plus grande attention. Au cours de cette perquisition et dissection, ils ont remarqué outre ce qui est noté au-dessus, sur le cadavre dudit Miraucourt, que la partie inférieure de l'œsophage ou gosier, toute noircie et gangrenée de la longueur de deux travers de doigts, eu au boyau duhodénum qui est celui qui est attaché audit estomac, une mortification très grande dans toute son étendue qui est longue de douze doigts, et la dite femme Ducarle la langue fort épaisse, chargée, ridée et un peu brûlée » (4).
Un second examen des corps, effectué cette fois par deux docteurs en médecine et trois chirurgiens jurés, conclut « qu'il y a grande présomption et vraisemblance (attendu une mort si précipitée, la corrosion, mortification et gonflement des parties et que les deux sont dans leur état naturel qui ne nous indique aucune cause de mort), qu'elle a été occasionnée au dit Miraucourt et sa femme par quelque poison violent comme arsenic ou sublimé corrosif » (5).
Pierre Etienne, Louise Miraucourt, sa femme, et Jeanne Duval, la nièce des défunts, sont conduits dans les prisons de la ville pour y être interrogés. Apparemment aucune charge n’est retenue contre eux. Le jour même, Claude Miraucourt et son épouse sont inhumés dans le cimetière de la paroisse Saint-Pierre-le-Chéri, en présence de Jean François et Pierre Etienne, leurs deux gendres.

Les époux Miraucourt ont-ils été empoisonnés ? Se sont-ils suicidés ? Nul ne le sait.

Trois mois plus tard, le 26 mai 1708, Pierre Etienne est nommé bourreau de Verdun.

Jourdan

(1) Bibliothèque Nationale, N.A.F.11330, f°192 v° et Archives Municipales de Verdun, CC.170 f°451 r°.
(2) Archives Municipales de Verdun, BB.13 f°45 r°.
(3) Bibliothèque Nationale, N.A.F. 12793, f°72 r°.
(4) Archives départementales de la Meuse, BP 1980. Document analysé par Jacques Desrousseaux et publié par Alain Fisnot, Les grandes affaires criminelles de la Meuse, De Borée, 2006, pp.24-25.
(5) Ibidem.


22 décembre 2009

Les bourreaux de Verdun au XVIIème siècle (1)

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Antique citée fortifiée sur les bords de la Meuse, devenue française en 1552, Verdun a toujours été pourvue d’un bourreau. Les premiers titulaires de cet office ne sont connus que par leurs prénoms : Jehan (1494), Guillaume (1504), puis un nommé Brounet (1517), Jean Gaultier dit maître Jehan ou maître Gaultier (1532-1538), Jean (1553-1558), et encore un Jean Gaultier (1575).
En mai 1594, Fiacre Georges, l’exécuteur de la haute justice, touche 6 francs 6 gros pour ses gages de quatre mois (1). Il décède un an plus tard. Contrairement à beaucoup d’autres villes de France, Verdun n’a jamais eu à chercher très loin ses exécuteurs. En général elle les trouve dans les villages du voisinage ou, à défaut, dans les plus proches prévôtés de Lorraine. Le 3 janvier 1596, se présente Domange Martin, natif de Longwy, qui est reçu aux gages de 36 francs par an « attendu qu’il est fils de maître dudit état et qu’il l’a ja exercé l’espace de 3 ans » (2). La carrière de ce dernier s’achève brusquement en 1599 : « pour avoir tiré des coups d’arquebuse sur lescale du soir, la garde étant assise » il est condamné à mort et exécuté (3). Sa veuve n’entend pas se laisser déposséder de l’office. Elle annonce qu’elle continuera à l’exercer par l’intermédiaire d’un autre bourreau qu’elle compte épouser très prochainement. Les échevins de Verdun accèdent à sa requête et, « en considération de la mort dudit Demange précipitament advenue », acceptent de lui payer ses gages jusqu’à son nouveau mariage (4). De fait, Jean Rouxel est reçu nouvel exécuteur de Verdun, le 26 août 1599, en remplacement de Martin. Il assumera les fonctions pendant plusieurs années jusqu’à ce que le fils de son prédécesseur soit en état de les pratiquer à son tour.

Dans les années 1620, Didier Martin est confirmé comme exécuteur de la haute justice. Vers cette époque, il loge dans une maison avec dépendances appartenant à la ville, située près de la tour du champ. Le 9 janvier 1627, il demande à quitter ses fonctions « pour quelques considérations par lui alléguées ». Mais les édiles refusent de lui accorder son congé « sinon en fournissant par lui un maître, homme capable à la dite charge, à sa place » (5). Vraisemblablement malade, il obtient que Jean Miraucourt, d’Ancemont, le remplace. Le 19 janvier 1630, ce dernier est agréé comme exécuteur de la haute-justice (6). Le 9 février suivant, Didier Martin étant décédé, Miraucourt restitue le poste à Jean Martin, fils du défunt. En fait, comme le jeune Martin n’a pas encore l’âge ou les capacités de remplir cet emploi, c’est toujours Jean Miraucourt qui continue à officier à Verdun. A cette date, le maître des hautes œuvres demeure rue de Tilly, dans la paroisse Saint Victor.

Bien que titulaire de l‘office de Verdun, Jean Martin a jeté ses vues sur celui de Metz, plus important et plus lucratif. Au mois d’octobre 1632, sans doute en raison de son absence, les échevins de Verdun lui interdissent formellement de lever les droits attachés à ses fonctions « à peine de punition exemplaire ». Dans le même temps, ils le confirment comme exécuteur en titre « à charge de fournir à ses frais, à l’occasion, homme capable à cet exercice, et ce jusqu’au bon plaisir de Mes[sieurs] » (7).

Le 4 avril 1633, Jean Martin se marie à Metz, en la paroisse Saint-Victor, avec Barbe Le Suisse, fille de Louis, maître des hautes œuvres de cette ville. Au moins trois enfants naîtront de cette union : Louis et Hubert, baptisés à Verdun en 1634 et 1636, et Nicolas, qui se mariera à Châlons-en-Champagne, en 1669, avec Françoise Saffret, fille de Louis qui fut exécuteur de Châlons puis de Vitry-le-François.

Au décès de son beau-père, Jean Martin lui succède comme bourreau de Metz, le 1er avril 1636. Seize ans plus tard, accusé de « vie scandaleuse » il est banni de la cité à la suite d’une information menée à son encontre, le 21 janvier 1653, par le lieutenant criminel du bailliage de Metz (8). Deux ans après c’est au tour de Barbe Le Suisse, sa femme, d’être emprisonnée sous l’accusation de « crime d’adultère ». Elle a effectivement été reconnue « atteinte et convaincue d'avoir depuis plusieurs années mené vie scandaleuse et desbordée, mesme d'avoir eu un enfant […] en l'absence et pendant le bannissement de son marit hors de ladicte Ville de Metz ». Condamnée à « estre battue et fustigée de verges par les carrefours de ladicte ville, bannie à perpétuité dudict Metz », cette sentence est confirmée en appel le 21 mai 1655 et mise à exécution dès le lendemain (9).

Jourdan
(à suivre)

(1) Bibliothèque Nationale, N.A.F. 11330, f°70 r°.
(2) Idem, f°75 v°.
(3) Idem, f°87 v°.
(4) Idem, f°88 v°.
(5) Idem, f°130 bis.
(6) Idem, f°148 v°.
(7) Idem, f°162 r°.
(8) André Brulé, Les males heures des maîtres exécuteurs de la haute justice messine (1160-1641), Les cahiers Lorrains, mars 2005 n°1, p.43.
(9) Ibidem.



19 décembre 2009

Rumeur ou réalité ? Une exécution secrète à Paris en 1774


C’est encore au journal du libraire Siméon-Prosper Hardy, toujours très bien renseigné sur les événements insolites de son temps, que nous empruntons cette histoire. Une exécution secrète aurait eu lieu au cœur de Paris, une nuit de septembre 1774. Simple rumeur ou faits avérés ? Notre libraire est bien embarrassé lorsqu’il rapporte ce qu’il a appris. Prudent, il préfère donner comme titre à cette affaire « Prétendue exécution à mort faite soi-disant à la Grève » Tous les acteurs de ce drame, qui n’est peut-être que le fruit de l’imagination d’esprits romanesques, ont emporté avec eux leur secret :

« Vendredi 30 septembre 1774 – On soutenoit toujours opiniatrement qu’un certain jour de ce mois, à une heure après minuit, on avoit conduit à la Grève dans un carrosse escorté de gardes et accompagné d’un petit nombre de flambeaux un particulier inconnu qui y avoit été décapité à genouil sur le pavé et sans qu’il eût aucunement été dressé d’échaffaud ; que l’exécution faite on avoit remis le cadavre dans le même carrosse en disant au cocher d’aller à l’hôtel. On ajoutoit qu’un particulier demeurant sur le quai Pelletier ayant voulu traverser la place de Grève dans cet intervalle, on lui avoit bandé les yeux et on l’avoit conduit jusqu’à sa porte. Des personnes demeurantes à la Grève asseuroient le fait de visu ainsi que d’autres qui habitoient la maison du Port Saint-Landry de l’autre côté de la rivière en face. On vouloit absolument que ce fut l’un des beaux frères de la comtesse du Barri maîtresse du feu roi (1). Celui, sans doute, qu’on avoit surnommé le Roué et qu’on soutenoit avoir été arrêté sur les frontières, se sauvant avec des joyaux de la couronne qu’il avoit escroqués à sa sœur, qui dans cette circonstance eüt passé de vie à trépas. Ce qu’il y avoit de certain, c’est qu’on entendoit plus parler de lui et qu’on ignoroit ce qu’il étoit devenu (2). La vérité du fait n’étoit pas encore éclaircie lorsque je transcrivois le présent article dont j’avois différé jusqu’à ce jour de faire mention. » (3)

(1) Jean-Baptiste Dubarry, vidame de Chalon, dit Le Roué, né à Lévignac en 1723. Il fut l’amant de Jeanne Bécu qu’il maria à son frère, le comte Guillaume Dubarry, avant qu’elle ne devienne la maîtresse de Louis XV.
(2) En réalité, il fut guillotiné le 17 janvier 1794. La rumeur n’a fait qu’anticiper de vingt ans sa rencontre avec le bourreau.
(2) Bibliothèque Nationale, Ms Fr. 6681, f°423.


12 décembre 2009

Le bourreau de Dax en 1700

 
A la fin du XVIIème siècle la ville de Dax décida de recruter un bourreau. Lui donnant certains droits afin de lui assurer un salaire. Il semble que cet exécuteur – dont nous ignorons le nom – se rendit rapidement impopulaire et on dû le licencier au bout de quelques mois.

«En la Chambre du Conseil du 20e avril 1700 par devant Messieurs de Borda, président et lieutenant général, Maumas, président, de Brat, lieutenant particulier et Saint-Martin conseiller :
Par le procureur du Roy a été représenté qu'il y a environ sept à huit mois qu'il a esté establi en là présente ville un exécuteur de la haute justice de l'autorité de la cour présidiale auquel il a esté fourny un tarif des droits qui lui furent alors réglés par lui, qui parle avec les sieurs maire et jurats de cette ville pour pourvoir à sa nourriture et à son entretien : mais comme cet homme perçoit ses droits avec violence et emportements graves commis contre divers particuliers et que d'ailleurs les denrées sont d'une cherté fort grande par le renversement des saisons que l'on voit depuis quelque temps, si bien que le peuple a pris en horreur cet exécuteur de la haute justice et murmure continuellement sur la perception de ses droits qu'il trouve excessifs ; enfin le procureur du Roy considérant l'inutilité de ce ministre dans ce lieu lequel est à charge au public, requiert lad. cour présidiale lui ordonner de se retirer incessamment et qu'il lui soit fait inhibition et défenses de plus percevoir à l'avenir aucuns droits sur les denrées qui se portent en la présente ville, à peine de concussion et de punition corporelle.
Il est fait droit séance tenante à ce réquisitoire et il est ordonné que l'exécuteur ne restera plus en fonction que quinze jours pendant lequel temps seulement il lui sera permis de percevoir les droits ordinaires réglés par son tarif ».

D. Goret, Le premier bourreau de Dax, Revue de Gascogne, Tome XIX, janvier-février 1924, Auch, 1924, p.182.
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6 décembre 2009

Suicide à la potence


Sans appartenir directement au sujet précédent, consacré aux plaisanteries de potence, le récit que nous publions relève cependant des incidents, parfois dramatiques, qui pouvaient se dérouler en marge d’une exécution capitale. Dans son journal (1), Jehan Louvet raconte une tentative de suicide à Angers, en 1613, à l’aide de la potence qui avait été dressée pour un supplice :

« Le samedy, à l'après-disnée, vingtième jour d'apvril audict an 1613, environ les quatre à cinq heures après-midi, est arrivé ung prodige ès-halles d'Angers. C'est assavoir qu'à la matinée de cedict jour, Julien Maugin, dit Lavardin, des Ponts-de-Cé, a esté condempné par M. le prévost de Saulmur et MM. les gens tenant le siége présidial audict Angers, d'estre pendu et estranglé; et auparavant l'exécution à mort, mis à la question pour les cas mentionnez au procès ; après la prononciation de laquelle sentence, le bourreau a mis son eschelle et cordeau à la potence pour l'exécutter, et durant qu'on bailloit laditte question audict Maugin, il s'est assemblé ès-dittes halles grand nombre de peuple pour le veoir exécutter; il y a eu ung jeune homme asgé de vingt-quatre ans ou environ, qui n'avoit point de barbe, nommé Jacques Dumu, natif de la ville de Chartres, fils d'un tenant maison et hostellerye, lequel, en présence de tout le peuple, a monsté au hault de laditte potence, où estant, a jetté son chappeau contre terre, et a prins le cordeau que le bourreau avoit préparé pour exécutter ledict Maugin, lequel il a mis à son col, et s'est jetté du hault de laditte potence en bas, et se fust estranglé, n'eust esté que le cordeau a esté en grande dilligence coupé à coups d'espée par ung archer dudict prévost, et a prins ledict Jacques Dumu, et icelluy mis ès-prisons, auquel MM. de la justice ont faict son procès, et l'ont condempné, dont ensuit la teneur de la sentence donnée contre ledict Jacques Dumu :
Veu nostre procès-verbal du samedy vingtième jour d'apvril dernier, audition de tesmoings faicte en conséquence d'icelluy, à la requeste du procureur du roy, demandeur et accusateur, contre Jacques Dumu, prisonnier ès-prisons ordinaires de ceste ville, deffendeur, a avisé ses interrogatoires et responses rendues sur icelles le vingt-deuxième du présent mois de may, aultre procès-verbal du vingt-quatrième dudict mois, contenant le rapport faict par François Berthe, maître chirurgien, de la visitation dudict Dumu, confrontation de tesmoings faicte audict Dumu, conclusions du procureur du roy, l'accusé mandé a faict venir en la chambre du conseil, ouy et répété de ses charges tout considéré.
Par nostre sentence et jugement en dernier ressort, avons ledict Dumu, pour réparation publique d'avoir attenté à sa vie et s'estre précipité à la potence en la place des Halles de ceste ville, condempné et condempnons faire amende honorable en l'audience des causes de ce siège, la juridiction tenant, à genoux, nu en chemise, la corde au col, tenant en ses mains une torche ardente du poids de deux livres, dire et déclarer à haulte et intelligible voix que témérairement et impieusement, il a commis ledict attentat dont il se repent et demande pardon à Dieu, au roy et à la justice. Ce faict, estre battu et fustigé nu de verges par les carrefours ordinaires de ceste ville et au pied de la potence, et l'avons oultre banni et bannissons de ce païs et duché d'Anjou à perpétuité, avec injonction de garder son ban sur peine de la hart.
Exécuttée le 3 juing 1613. »


(1) Jehan Louvet Journal ou Récit véritable de tout ce qui est advenu digne de mémoire tant en la ville d'Angers, pays d'Anjou et autres lieux (depuis l'an 1560 jusqu'à l'an 1634), Revue de l'Anjou et de Maine et Loire, quatrième année, tome premier, Angers, Librairie de Cosnier et Lachèse, 1855, pp. 42-43.


1 décembre 2009

Plaisanteries de potences

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On imagine difficilement qu’une exécution capitale puisse susciter l’envie de se livrer à des plaisanteries. C’est pourtant ce qui est arrivé, plus d’une fois, sans qu’on sache vraiment si nos ancêtres étaient coutumiers de telles facéties ou si ce genre de faits était exceptionnel.

En 1710, à Moulins-Engilbert, en Bourgogne, une demi-heure avant la pendaison d’une pauvre femme sur la place publique, les Pères du couvent de Picpus, situé à côté, se rendirent jusqu’au gibet pour reprendre l’échelle que le bourreau leur avait empruntée, apparemment sans leur accord. A la surprise générale, en présence de toute la ville, ils la brisèrent à coups de hache et repartirent « en riant », comme ils étaient venus (1).
A Paris, le 30 mai 1776, on allait pendre en Grève Nicolas Pereux, 26 ans, condamné pour vol, qu’on disait être un ancien frère récollet. Le libraire Hardy, qui le vit descendre le grand escalier du Châtelet, note qu’il paraissait contrit et repentant tout en ajoutant qu’il avait appris, avec étonnement, « qu’il avait eu le courage, non seulement de manger de la soupe et du bouilli à son dîner mais qu’il avait encore demandé autre chose qu’on avait refusé de lui donner » (2). Nonobstant, le chroniqueur rapporte en détails l’incident qui s’était produit quelques heures avant cette exécution : « Environ deux heures avant qu’on songeat à conduire à la Grève le susnommé, il s’y était passé une scène assez singulière ; un particulier, agé d’environ quarante cinq à cinquante ans, ayant monté l’échelle qui tenoit à la potence puis ayant retiré les fiches de fer qui liaient ensemble les différentes parties de cette potence, et redescendu, avoit crié tout haut que ces fiches étoient à vendre ; alors le garçon charpentier chargé de veiller à cet instrument de supplice et qui étoit dans un cabaret voisin averti de ce qui venoit d’arriver et voulant ravoir de ce particulier les susdites fiches de fer. Celui-ci se bat avec lui et le maltraite considérablement pourquoi la garde ayant été appelée il se défend encore vigoureusement contre les soldats qui s’en emparent néanmoins et le conduisent chez un commissaire, d’où il est ensuite traduit dans les prisons du grand Châtelet. On prétendoit qu’il n’avoit dit autre chose si ce n’est qu’il vouloit se procurer le plaisir de voir faire au bourreau une cabriole ; comme aussi qu’on l’avoit confronté au patient pour sçavoir s’il en étoit connu, mais qu’il avoit déclaré ne l’avoir vu de sa vie. » (3)

(1) Archives Nationales, G 7 410. Lettre de l’intendant Turgot, 24 avril 1710.
(2) Bibliothèque Nationale, Ms Fr. 6682, f°227.
(3) Ibidem, f°228.

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