10 février 2010

Le bourreau d’Angoulême gracié par le régent


Le bourreau n’est pas au dessus des lois. Quand il commet un homicide il doit s’attendre à être condamné comme un simple justiciable. Mais s’il sait plaider sa cause il peut parfois être gracié. C’est le cas de Pierre Guitton, exécuteur des sentences criminelles de la ville d’Angoulême au début du XVIIIème siècle, dont nous avons retrouvé l’histoire aux archives départementales de la Gironde.

A la mort de Louis XIV, les Guitton sont propriétaires de l’office de bourreau de la capitale de l’Angoumois depuis déjà un quart de siècle. Le père, Robert, habite la paroisse Saint-Martial. Il a épousé Catherine Pinocheau, fille de son prédécesseur. Lorsqu’il décède, Pierre son fils aîné lui succède. Marié à Marguerite Gendron, ce dernier ne parait avoir occupé ces fonctions que pendant une dizaine d’années.

En 1713, Pierre Guitton est préoccupé par une grave affaire de famille. Sa jeune belle sœur, Jeanne Gendron, à peine âgée de treize ou quatorze ans, s’est laissé suborner par une maquerelle, la femme Ardillier. Epouse d’un verrier de Limoges, appelé Pierre Bret, la redoutable entremetteuse ne s’est pas contentée d’attirer la jeune fille dans sa maison, elle l’a aussi encouragée à voler différents effets à ses parents ainsi qu’à l’exécuteur de Limoges. Informé de tous ces faits, Guitton est résolu à régler lui-même ce problème. C’est ainsi que le 22 septembre, il tambourine à la porte de la maison de la femme Ardillier, bien décidé à arracher sa belle sœur à « ce mauvais commerce » et à récupérer, en même temps, tous les objets qu’elle a clandestinement emportés. Malheureusement pour lui l’intraitable tenancière lui oppose un refus tout net. Elle a obligé la fugitive à se cacher sous un lit, dans une chambre. Elle commence par protester de sa bonne foi, niant la présence de Jeanne Gendron dans sa maison. Mais quand le bourreau reconnait des bas, puis d’autres vêtements volés, le doute n’est plus permis. Confondue et furieuse, la dame Ardillier se rue sur Pierre Guitton « lui sauta à la gorge et lui donna des coups de pied et de poings en le traitant de B. de chien et lui disant toutes sortes d’injures.» Surpris, le bourreau recule et tente de se dégager des mains de la terrible harpie. Elle revient à la charge. Pour se protéger, il tire alors son épée et, dans la lutte, la blesse à la cuisse gauche. La dame se serait empalée elle-même sur la lame… Hélas, elle ne survit pas à la blessure et décède quelques jours plus tard « n’ayant reçu aucun secours tant elle est en horreur dans ladite ville de Limoges. »
La justice s’empare de l’affaire. Bien qu’aucune partie civile ne se soit constituée, les magistrats se rendent au domicile de la femme Ardillier, y découvrent la belle sœur de l’exécuteur et les effets volés. Pierre Guitton, décrété de prise de corps, est recherché. Pas très activement semble-t-il. En effet, ce n’est que cinq ans après cette affaire – et bien qu’il ne se soit jamais caché – qu’il est finalement arrêté le 9 août 1718. A l’issue d’un premier procès il est d’abord condamné, le 31 août, aux galères à perpétuité. Ayant fait appel, le bourreau d’Angoulême est transféré dans les prisons du parlement de Bordeaux chargé d’examiner à nouveau son cas. Prudent et sans doute habilement conseillé, il n’attend pas le verdict des magistrats bordelais pour adresser une demande de grâce au jeune roi.
Pendant sa détention, sa femme a mis au monde une fille, Françoise, née le 23 janvier 1719 à Angoulême.
Dans le courant du mois de mars, la grâce tant espérée est enfin signée par le régent Philippe d’Orléans, au nom de Louis XV. (1) C’est sans compter sur l’obstination du parlement de Bordeaux qui, nonobstant les lettres royales, fait des difficultés pour les enregistrer. C’est que dans l’intervalle, pendant que Pierre Guitton sollicitait sa rémission, les juges ont rendu un nouvel arrêt contre lui, le 3 février 1719, le condamnant à cinq années de galères. Une autre demande de recours est alors adressée au monarque. Il faut croire que notre exécuteur continue à bénéficier des faveurs royales. Le 6 juillet suivant, de nouvelles lettres sont expédiées de Paris par lesquelles le duc d’Orléans « imposant silence à notre procureur général, ses substituts présent et avenir... » décharge le condamné de sa peine de cinq ans de galères. (2)
Après avoir passé presque un an en prison, Pierre Guitton peut enfin rentrer chez lui à Angoulême.
Sa femme accouche encore d’une fille, Catherine, le 15 décembre 1722. Quelques années plus tard, son beau-frère, Jean Jaquinet, lui succède comme bourreau de cette ville.

(1) Archives départementales de la Gironde, 1 B 42 f°56 r°/v°.
(2) Idem, f°56 v°/f°57 r°.


4 février 2010

Une exécution au XVIIIe siècle vue par un anglais


Un anglais, Sacheverell Stevens, voyageant en Europe vers 1750, découvre à Paris le supplice de la roue.

" L'exécution eut lieu sur la place de Grève, qui est une sorte d'emplacement rectangulaire où se dresse la Maison de ville. Au milieu de cette place était érigé un échafaud ; à la demie de quatre heures, une charrette amena le prisonnier au lieu d'exécution : elle était encadrée des gardes de la cité qui marchaient en procession deux par deux. Un prêtre ou père confesseur accompagnait l'homme qui allait mourir. On avait planté sur l'échafaud une large croix de forme exactement semblable à celle communément appelée de Saint-André. Puis le bourreau et ses assistants y installèrent le prisonnier de telle façon que ses bras et ses jambes épousassent exactement la forme de la croix et lui lièrent solidement les membres : au-dessous de ses bras et de ses jambes, ils avaient fait une entaille dans le bois pour marquer où le bourreau devrait frapper pour briser les os avec le plus de facilité. Ce dernier avait à la main une grande barre de fer assez semblable à ces leviers dont se servent nos manœuvres et il lui rompit les bras pour commencer et peu après les deux cuisses : c'était un spectacle pénible et choquant de voir le supplicié soulever son corps comme par vagues successives dans son agonie extrême et de contempler les terribles grimaces qui tordaient son visage : il mit très longtemps à mourir et son supplice se fût prolongé très longtemps encore si bourreau ne lui avait donné le coup de grâce en le frappant à l'endroit de l'estomac, mettant fin ainsi à l'indicible martyre du pauvre hère; une fois mort, on le descendit de sa croix pour le placer sur une roue fixée en haut d'un poteau où il demeura exposé pendant quelque temps; c'est cette partie de la cérémonie qui fait dire d'un condamné qu'il a été rompu sur la roue alors qu'à vrai dire c'est sur une croix, comme nous venons de le décrire."

S. Stevens, Remarques diverses faites sur le vif au cours d'un tour de sept ans à travers la France, l'Italie, l'Espagne et la Hollande, Londres, 1756.
X

3 février 2010

Une femme rouée à Lille (1683)


  Appliquée depuis le XVIe siècle, la peine de la roue était exclusivement réservée aux hommes. Les traités juridiques de l’ancien régime expliquent que c’est uniquement pour une question de pudeur que ce châtiment n’était pas appliqué aux femmes : « Les femmes ne sont point condamnées à cette peine, par des raisons de décence & d'honnêteté publique. » Aussi étonnant que cela puisse paraître, il y eut quelques exceptions à cette règle. Nous en avons trouvé un exemple dans le Nord, à la fin du XVIIème siècle.

En 1683, à Lille, six jeunes filles accusées de sorcellerie avaient été condamnées à mort. Outre que l’exécution de plusieurs sorcières en même temps, sur la principale place de la ville, était un événement inusité, les juges avaient décidé de leur appliquer une sanction exemplaire, susceptible de frapper durablement l’opinion. En effet, ils avaient ordonné que trois d’entre elles seraient pendues, deux autres étranglées et la dernière… rouée. On imagine que cette subtile distinction des peines correspondait à une sorte de graduation de la culpabilité de chaque condamnée.

Le mercredi 13 octobre, devant une foule nombreuse, les six sorcières furent livrées au bourreau de Lille et à ses aides. L’artisan lillois Pierre-Ignace Chavatte, témoin de cette exécution, note dans son journal que « la justice a duré deux heures, depuis 3 jusqu’à 5 heures et un peu plus. » (1)
La première eut la langue coupée « avec un sigeau » (ciseau) puis achevée au garrot. Le chroniqueur précise « elle ne fut pas estranglée, elle fut meurdrie à l’estaque. » Attachée à un poteau – appelé estacque en patois local – elle mourut sans doute étouffée. La seconde subit le même traitement. Trois autres furent pendues.
Quant à la dernière, nommée Marie-Madeleine Wagon, elle fut soumise – sans qu’on puisse expliquer pourquoi – au terrible supplice de la roue. Pierre-Ignace Chavatte détaille le déroulement de cette singulière exécution : « Sur l’échafaud elle se descoutra elle mesme : elle ota son devantier et puis son rochet et puis une petite baie ; et elle avait des quenneson blanc, et elle-même se jetta dessus la croix fort constamment et estant sur la croix on commença à l’estranglé et puis après luy furent donné trois coups de barraine de fer sur le ventre et après le bourreau ala au bilion pour le retord la corde et après y reprend encore le dit barreau de fer et lui donna encore cinq coups et fut luy rompu les bras et les jambes. » (2)
On peut interpréter cette description de la manière suivante : Arrivée sur l’échafaud Marie-Madeleine Wagon se déshabilla elle-même ; elle retira son tablier, sa robe et ne conserva qu’un caleçon. Avec beaucoup de courage elle s’allongea sur la croix de Saint-André. On lui passa une corde autour du cou qui, en se resserrant, lui fit perdre connaissance. Alors, avec une barre de fer, le bourreau lui donna trois coups sur le torse. Puis, en tordant encore le garrot, acheva de l’étrangler. Enfin, il reprit son coutre et lui brisa successivement les bras et les jambes.

(1) Bibliothèque Nationale, N.A.F. 24089 f°302r°/v°.
(2) Ibidem.