25 octobre 2010

Sur l’échafaud


Dans sa collection Le temps retrouvé, les éditions Mercure de France viennent de publier un ouvrage qui ravira les fidèles lecteurs de notre blog (1). En effet, Pascal Bastien, professeur d’histoire moderne à l’Université du Québec, à Montréal, connu pour ses passionnants écrits sur la justice criminelle sous l’ancien régime (2), nous livre aujoud’hui, en les annotant, les précieuses archives de Thomas-Simon Gueullette (1683-1766). Juriste, homme de lettres, magistrat à la cour criminelle du Châtelet, auteur de contes et de pièces de théâtre, Gueullette fut un infatigable polygraphe qui jouissait d’une certaine notoriété sous le règne de Louis XV. Passionné par les histoires criminelles de son temps, il collectionna pendant toute sa vie tout ce qui pouvait se rapporter à ce sujet, tels qu’arrêts et jugements criminels, factums, placards, gravures, qu’il commentait et complétait de notes personnelles. Si l’Histoire des larrons et des assassins qu’il envisageait d’écrire n’a jamais vu le jour, ses précieux papiers, eux, ont été conservés. Ils sont aujourd’hui aux Archives Nationales, sous les cotes AD III, 1 à 11. Nous connaissons bien ce fonds, que nous avons nous aussi exploité, à la recherche d’informations sur les bourreaux et les exécutions. Relevés qui nous ont d’ailleurs permis de rédiger plusieurs articles de ce site.

Cette publication ne pouvait, évidemment, éditer l’intégralité de l’immense documentation rassemblée par Thomas-Simon Gueullette (3). Outre le fait qu’elle se limite à la période pendant laquelle le magistrat a exercé ses fonctions (1721 à 1766), elle a choisi d’écarter toutes les pièces imprimées pour ne retenir que les seuls commentaires, plus intéressants, de ce dernier. C’est précisément ces notes autographes, classées par ordre chronologique, qui font toute la richesse de cette étude.
Ces Histoires de larrons et d'assassins nous font donc pénétrer dans l'univers fascinant du crime et de la violence du Paris de Louis XV. Et, à travers elles, c’est le destin de plus d’une centaine de condamnés que nous suivons. La plupart ont fini sur l’échafaud, brûlés, roués, mutilés, décapités, pendus, au gré des jugements, souvent sévères, des juges du Châtelet.
Ce recensement débute avec Cartouche, le fameux bandit, roué le vendredi 28 novembre 1721. On apprend qu’après lui avoir brisé tous les membres, l’exécuteur, « qui était fatigué, l’étouffa sur la roue avec une corde dont il lui sera l’estomac plus fortement que de coutume ». Suit ensuite toute une série de délinquants, assassins, malfaiteurs, que l’on accompagne depuis l’accomplissement de leurs délits ou de leurs crimes, en passant par la prison, la question (la torture, souvent utilisée), le tribunal, jusqu'au supplice infligé en place de Grève ou un autre endroit de Paris. Défilé hétéroclite où les brigands de grands chemins cotoient de simples domestiques, laquais, servantes et valets de chambre, mais aussi des militaires, des artisans (horloger, tailleur, compagnon orfèvre, tonnelier, cardeur de matelas, garçon marchand de vin, jardinier) et même, plus insolite, un chanoine, un chirurgien et un dentiste. Les femmes, même si elles soint moins représentées que les hommes, figurent néanmoins en bonne place dans ce tableau. Certaines célèbres à l’époque, comme Marie-Catherine Taperet dite la Lescombat, qui s’était rendue complice de l’assassinat de son mari, affaire qui eut un grand retentissement à Paris. Elle fut pendue le 3 juillet 1755. Gueullette précise : « Ce fut le fils de l’exécuteur qui fit cette exécution assez mal, et qui s’y reprit à cinq ou six fois ». Rançon de sa notorité, après sa mort un médecin naturalisa son corps que les parisiens purent venir admirer, dans son cabinet, rue Quincampoix.
On est surpris par l’extrême jeunesse de certains accusés envoyés à l’échafaud. André Thibault dit Blondin « petit et très délicat » roué le 31 janvier 1743, à peine âgé de quatorze ans et demi. René Flechard, roué le 28 mars suivant, qui ne comptait que seize ans et trois mois. Jean-Etienne Perrier, pendu le 17 mai 1765, à dix-sept ans, tout comme Louis Cartouche ou Charles Leroi de Valine, âgés de dix-sept ans et demi. Les rigueurs de la justice n’épargnent pas même les jeunes filles comme l’atteste le cas de Geneviève Guérin, seize ans, et Antoinette Blaquet, dix-sept ans, toutes deux pendues le 13 septembre 1763. Elles étaient accusées d’avoir égorgé et dévalisé un cavalier dans un sentier du côté de Clignancourt.
Au cours de cette longue période, deux nobles seulement seront condamnés à mort et, en cette qualité, décapités. Jean-Baptiste Beaulieu de Montigny fut exécuté le 15 juillet 1737, sur la petite place du Trahoir, à Paris, pour avoir assassiné un homme dont il importunait l’épouse. Prudhomme, l’exécuteur (4) « lui sépara la tête assez adroitement d’un seul coup […] la montra au peuple de tous les côtés, la remit à terre, et salua ensuite le public qui l’applaudit beaucoup à son adresse par des battements de main. ». Louis Moiria, gentilhomme natif de Saint-Claude en Franche-Comté, assassin de la femme Destournes, subit sa peine sur la place de Grève, un soir de décembre 1738. Le condamné embrassa le jeune exécuteur (5), dont c’était « son coup d’essai », puis se mit à genoux. Le bourreau « lui abattit la tête fort adroitement à la lueur d’un flambeau, d’un seul coup pendant que le peuple chantait le Salve. La tête tomba à terre, elle fut rejetée sur l’échafaud, l’exécuteur la montra au public qui l’applaudit par de grands battements de mains. »
Terrible époque où la peine de mort ne sanctionnait pas seulement les assassins, mais aussi les voleurs, parfois pour de menus larcins. C’est ainsi que Jacques et Jacques-Etienne Artois, auteurs d’un simple vol de poules, furent pendus sur la place du marché de Corbeil, le 16 octobre 1764. Et si les bûchers ne s’allumaient plus pour les sorciers ou les hérétiques, les juges continuaient à y vouer les sodomites. Deschauffours, qui « tenait école et bordel de sodomie », brûlé le 24 mai 1726, remuait encore au milieu des flammes car le bourreau l’avait « mal étranglé ». De même que Bruno Lenoir, garçon charcutier, et Jean Guyot, garçon cordonnier, surpris de nuit dans les rues de Paris, qui expièrent leur « crime » sur un bûcher, en Grève, le 6 juillet 1750.
Enfin, Thomas-Simon Gueullette nous livre son témoignage sur la plus spectaculaire exécution qui eut lieu à Paris, au cours du XVIIIème siècle : L’écartèlement de Robert-François Damiens, auteur d’un attentat contre le roi. Le magistrat, muni d’une « bonne lunette d’approche » et installé à une fenêtre du premier étage de la maison du Saint-Esprit, sur la place de Grève, rapporte avec force détails le déroulement du supplice du malheureux régicide, le 28 mars 1757. Cet insoutenable rituel dura près de quatre heures. Seize bourreaux – un chiffre incroyable – y participèrent. « L’exécuteur de Paris avait fait venir de différentes villes du royaume nombre de ses confrères pour l’aider dans une exécution dont on n’avait heureusement point eu d’exemple depuis celle du parricide de Ravaillac.»

Source de première importance pour tous ceux qui s’intéressent à la justice sous l’ancien régime, cette édition va même au-delà puisqu’elle permet de mieux connaître les mœurs et les mentalités du XVIIIème siècle. Point besoin de commentaires superflus ou d’annotations surabondantes pour déchiffrer ces vérités à l’état brut.

J.-J. J.

(1) Thomas-Simon Gueullette, Sur l'échafaud. Histoires de larrons et d'assassins, Edition présentée et annotée par Pascal Bastien, Paris, Mercure de France, 2010, 336 p.
(2) Pascal Bastien a publié L'exécution publique à Paris au XVIIIe siècle, en 2006, et participe avec Daniel Roche, à l’édition critique du Journal d’événements du libraire parisien Siméon-Prosper Hardy (1753-1789). Il devrait faire paraître, en janvier prochain, Une histoire de la peine de mort. Bourreaux et supplices, 1500-1800, Paris, Seuil (L'Univers historique).
(3) Après la mort de Gueullette sa collection fut transmise au procureur Meunier et à l’imprimeur Prault, ses amis, qui continuèrent de l’enrichir jusqu’en 1789, soit un total de près de 3635 pièces.
(4) François Prudhomme, titulaire par intérim des fonctions d’exécuteur de Paris, en attendant que Charles-Jean-Baptiste Sanson soit en âge de les exercer.
(5) Charles-Jean-Baptiste Sanson qui, s’il l’on admet qu’il était né vers 1719, devait alors avoir dix-neuf ans.